Boris Cyrulnik qualifie la parentification (ou adultisme) de « mécanisme de défense » et de « stratégie relationnelle coûteuse ». Cela consiste, pour l’enfant, à « apprendre le déplaisir de vivre par responsabilité précoce ». Etre adultisé consiste à prendre en charge de façon précoce son ou ses parent(s), à se sentir responsable de leur survie et/ou de leur bonheur, au détriment de l’insouciance de l’enfance. C’est devenir sérieux avant l’âge mais finalement, rester petit dans son coeur, d’où une certaine immaturité affective!
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Exemple : Catherine (9 ans) cache la dépression et l’alcoolisme de sa mère au regard de l’école et de l’assistante sociale, par peur de se trouver placée à la DDASS. Petite mère courage, elle gère le ménage, les courses, les factures et le courrier ainsi que les relations avec le médecin. Toute son énergie passe à aider sa mère (dont elle est la confidente) et à faire bonne figure à l’extérieur pour faire croire que tout va bien.
Origines de la parentification
Elles sont en général parentales voire transgénérationnelles. L’enfant sort trop tôt de l’insouciance de l’enfance et apprend dès lors à prendre en charge et à protéger son ou ses parents suite à :
• une défaillance (maladie, dépression, irresponsabilité, alcoolisme, handicap, immigration) ou
• une démission parentale (absence, abandon, absence de cadre ou règles changeantes, inceste).
Selon Boris Cyrulnik, l’enfant n’a que 3 choix face à des parents qui n’assument pas leur rôle :
• s’effondrer
• fuir et investir d’autres personnes au prix d’une culpabilité
• devenir adultisé pour survivre (forme de résilience), pour éviter d’être abandonné, ignoré
Comportement de l’enfant adultisé
L’enfant apprend très vite à s’assumer (au-delà de son âge) et à prendre en charge l’autre (fratrie, parent). Il se construit sans modèle fiable. Il se sent même responsable des malheurs de l’adulte et peut se sentir coupable de ne pas arriver à le soulager suffisamment.
Il apprend vite la maîtrise, voire l’hyper contrôle de soi. Ainsi, il masque ses sentiments, s’intériorise, cache le problème de la famille aux yeux extérieurs, perd l’accès à son imaginaire et au jeu. La réalité prime sur le plaisir. Souvent hyper-intelligent, l’enfant met l’adulte mal à l’aise. Par ailleurs, l’enfant souffre d’une dévalorisation permanente car son «sacrifice » n’est pas reconnu.
Conséquences de la parentification à terme chez l’adulte (ancien enfant adultisé)
Les conséquences sont nombreuses et interconnectées :
• manque de confiance en soi et en les autres avec évitement des conflits et difficulté à demander de l’aide.
• problématique de place, de rôle (suite à l’inversion des rôles vécue dans l’enfance).
• quête de reconnaissance : ce qui l’amène souvent à trop donner, à vouloir sauver l’autre, à se conformer socialement (en se dénaturant).
• problématique liée au plaisir : difficile de s’accorder du temps, du repos, des cadeaux, de satisfaire ses besoins ou envies (souvent méconnus), etc… Ces adultes fonctionnent exclusivement par devoir et sont souvent coupés de leur ressenti.
• problème d’identité : par identification au parent défaillant (effondrement narcissique) qui propose une image dévalorisante et honteuse.
• dépendance affective qui se manifeste soit par une tendance à la relation fusionnelle et exclusive (rêve d’être pris en charge), soit par la fuite ou l’évitement pour maîtriser la distance relationnelle.
• pseudo maturité : image sérieuse mais maturité affective figée à l’époque de la prise en charge du parent. De ce fait, a plutôt tendance a être à l’aise avec des personnes plus âgées que lui. En fait, la juste maturité vient avec l’enseignement tiré des erreurs.
• besoin de contrôle et de maîtrise pour masquer un vide intérieur.
Souvent autodidacte, on retrouve cet adulte dans les professions de soins et d’aide à la personne. Cela lui permet de rejouer son scénario de prise en charge et de rester loyal à ses parents tout en continuant à s’oublier. Il est en général attiré par des amis ou conjoints plus âgés car il ne sent pas en phase avec ceux de son âge. On le retrouve encore (plus tôt que la moyenne) dans les stages de développement personnel car il veut griller les étapes en comprenant intellectuellement, plutôt qu’en se confrontant à l’expérience du ressenti.
Or, comme le souligne Françoise Dolto « honorer ses parents, c’est très souvent leur tourner le dos et s’en aller en montrant qu’on est devenu un être humain capable de s’autonomiser ». De plus, l’enfant n’a pas à donner à ses parents autant d’amour qu’il en a reçu de ses parents mais à le donner à son tour à ses propres enfants ou à d’autres s’il n’en a pas.
C’est souvent lors de crises identitaires (adolescence, CMV, etc…) que l’être commence à s’interroger sur ses besoins et tente de sortir de scenarii limitants. Il est alors invité à accueillir en soi l’enfant intérieur blessé, avec toutes ses émotions, ses ressentis, non entendus à l’époque. C’est un travail d’alliance avec l’enfant intérieur (ou les enfants intérieurs) pour gagner en légèreté, en estime de soi et en capacité à prendre soin de soi tout autant qu’à prendre soin des autres.