La double contrainte : si vous aimez, n’aimez pas!

Double contrainte, double lien, double entrave, double bind, double injonction, injonction paradoxale… Les expressions sont nombreuses pour qualifier des situations qui nous laissent souvent hagards et les bras ballants. La double contrainte place la personne dans une situation d’impuissance à choisir entre deux options négatives.

Définition de la double contrainte

Issue des travaux de Grégory Bateson (1956) -qui posera les fondements des thérapies familiales et systémiques- la double contrainte désigne 2 messages ou 2 ordres contradictoires. On ne peut satisfaire l’un sans contrevenir au second. Ainsi, quelle que soit la réaction de celui qui les reçoit, il est forcément perdant. C’est un peu comme choisir entre la peste ou le choléra!

Pour l’illustrer, on cite souvent l’histoire de cette mère qui offre à son fils 2 cravates, l’une bleue, l’autre rouge. Pour recevoir sa mère quelque temps plus tard, le fils va mettre la cravate rouge ce qui lui vaudra d’entendre « Tu n’aimes pas la cravate bleue ! ». Le week-end suivant, pour lui faire plaisir, il met la cravate bleue et sa mère lui dit « Tu n’aimes donc pas la cravate rouge ! ». Il est donc toujours « perdant »

La difficulté vient du fait que les messages antinomiques sont sur des plans différents : explicites et/ou implicites, verbaux et/ou non verbaux. Par exemple, un parent dit : « fais moi plaisir en étant brillant à l’école » mais le non verbal (ton, mimiques) indique que si l’enfant le dépasse, il en sera malheureux.

On distingue la double contrainte de l’injonction paradoxale dans laquelle un seul ordre contient en lui-même sa propre contradiction. Exemple : « soyez spontané ! » car la spontanéité ne se décide pas, « Sois grand, mon petit » ou comme le propose A. Watzlawick « Ignorez ce panneau ».

Particularités

  1. La double contrainte est opérante lorsque la relation est importante pour nous. Son intensité varie selon le lien affectif qui nous lie. Exemple : la maman dit à son enfant qui est tombé : « mais non tu n’as rien, tu n’as pas mal (car moi qui t’aime je sais ce que tu ressens) ». Il y a 2 messages contradictoires : le ressenti et le discours de la maman.
  2. Par ailleurs, on veut répondre de façon « adaptée » aux messages.
  3. On reçoit 2 messages contradictoires.
  4. On ne peut commenter les messages reçus.

Effets sur l’individu

  • La double contrainte empêche toute prise de décision adaptée.
  • Elle génère des sentiments diffus de malaise, d’impuissance, de confusion des idées ou des affects. Elle donne le sentiment d’être en faute ou incompétent, d’être de trop ou spectateur de ce que l’on fait.
  • Elle entraîne la perte de confiance dans son ressenti.
  • Elle provoque des impasses relationnelles, un vécu de castration et des situations non gagnantes.
  • Elle peut rendre a-réactionnel (sans réaction).
  • Elle rend la situation « a priori » insoluble, inextricable.
  • Elle pourrait même bloquer l’énergie de vie.

Lorsque la double contrainte entraîne fréquemment des sanctions (condamné si j’agis et condamné si je n’agis pas), elle conduirait à la psychose. En thérapie familiale, Karine Albernhe note que « la relation de double contrainte ne suppose ni tyran ni victime mais plutôt 2 tyrans-victimes car il est impossible de répondre à une double contrainte sinon par un message aussi paradoxal voire plus ». Par exemple, une mère gronde son enfant tout en lui souriant affectueusement. L’enfant ressentira un malaise qui provoquera une réaction ambiguë qui influera en retour sur celle de sa mère.

Contexte

Les messages paradoxaux émaillent notre vie quotidienne, dans tous les contextes (entreprise, couple, famille, groupes…). Il est donc difficile d’y échapper. Selon David Cooper (1978), d’un point de vue psychosociologique, c’est le propre de la Société que de créer des doubles contraintes en proclamant par exemple l’autonomie de l’individu tout en le maintenant dans un carcan. Dans le monde du travail, on en rencontre à foison avec des phrases du type « je veux que vous soyez productifs », mais sans contrepartie (en temps, en moyens ou en rémunération).

Comment s’en sortir ?

La capacité à se sortir d’une double contrainte dépend bien évidemment de l’âge et des ressources personnelles pour s’en sortir.

Selon G. Bateson, la conséquence positive de la double contrainte est d’obliger l’individu à développer une « double perspective créative ».

En clair, pour s’en sortir, l’individu est invité à :

  1. Repérer la double contrainte, en prendre conscience.
  2. Métacommuniquer et recadrer, autrement dit, communiquer sur la communication en dévoilant les non-dits, en relisant la situation à un niveau différent. Par exemple, communiquer sur l’absurdité d’une demande peut être une façon de la dépasser.
  3. Adopter un comportement différent : oser l’humour, la métaphore, la créativité, la spontanéité, s’impliquer, oser se révéler, oser être qui l’on est, faire différemment plutôt que davantage, etc… C’est une véritable prise de risque identitaire qui encourage à être créatif plutôt que réactif.

Pour en revenir à l’histoire des cravates, cela pourrait consister à dire « Merci maman, tu viens de m’apprendre à être original car je vais porter désormais 2 cravates » (comme l’évoque Serge Villaverde). Tous les deux, pourraient ainsi rire et prendre du recul par rapport à l’absurdité de la situation.

Et vous, les doubles contraintes, ça vous parle ?

Bibliographie

– « Les thérapies familiales systémiques » Karine Albernhe

– « Double lien, schizophrénie et croissance. Grégory Bateson à Palo Alto » Jean-Claude Benoit, ERES 2000

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