L’inceste ou la loi du silence

L’inceste ou la loi du silence

Cet article est le fruit d’une lecture sur l’inceste « Le berceau des dominations : Anthropologie de l’inceste » par Dorothée Dussy dont j’honore le travail ainsi que de ma pratique en psychothérapie et constellations familiales. En effet, plus de 60% des personnes que je reçois en consultation ont vécu un abus sexuel.

Je vais aborder l’inceste tout autant que l’abus sexuel sur mineur, quel que soit l’abuseur (appartenant à la famille ou à son environnement proche). La grande majorité des victimes sont des fillettes ou adolescentes mais les garçons sont également concernés (5 à 10 %).

Précisons d’abord que l’exposition précoce d’un enfant à la sexualité, que ce soit par des images pornographiques, l’exposition à des actes sexuels ou des attitudes sexualisées devant lui provoque de nombreux dégâts, alors même qu’il peut n’y avoir eu aucun passage à l’acte sur l’enfant.

Le climat incestuel est quant à lui également très pernicieux (entrer dans la salle de bain de l’adolescent sans autorisation, s’immiscer dans son intimité, faire des commentaires sexualisés sur son apparence physique, etc). Tout cela atteint l’intégrité psychique de l’individu et est lourd de conséquences également.

 

Qu’appelle-t-on Inceste ?

Voir sur Wikipedia

C’est un abus sexuel sur un enfant de la famille effectué par une personne plus âgée du système : un ascendant (parent, grand-parent), oncle, tante, frère ou sœur (ou ½ frère ou ½ sœur) neveu ou nièce ou par un conjoint/concubin de l’une de ces personnes. Et l’injonction est que l’abus reste secret.

 

Le délai de prescription est passé récemment de 20 ans après la majorité à 30 ans. Ce délai peut être prorogé s’il survient ultérieurement un autre abus sexuel sur enfant par le même abuseur. Le délai de prescription est important puisque les abus sexuels sur enfant déclenchent des mécanismes de survie de type amnésie ou déni.

 

Qu’est-ce qui qualifie un viol ?

C’est une agression sexuelle avec pénétration vaginale, anale ou buccale exercée sous la contrainte ou la surprise avec le sexe de l’abuseur, ses doigts ou un objet. La notion de contrainte est établie par la pression physique ou morale. Les peines encourues dépendront des circonstances et de l’âge de la victime. C’est considéré comme un crime.

NB : A noter que l’échelle de gravité des abus sexuels a été définie par des hommes. Par exemple, la fellation est moins sanctionnée que la pénétration vaginale, elle-même moins sanctionnée que la pénétration anale. Pour cette dernière, le viol sur garçon sera plus lourd que pour une fillette !

 

Qu’est-ce qui qualifie une agression sexuelle ?

Ce sont des caresses, baisers forcés ou des attouchements sexuels commis sans consentement et avec surprise, menaces, contraintes ou violences. Alors que la fellation imposée à un enfant est considérée comme un viol, le même acte fait à un enfant est considéré comme un attouchement sexuel ! L’agression sexuelle est considérée comme un délit et les peines ainsi que le délai de prescription sont moindres que dans le cas du viol.

 

Quelques chiffres sur l’abus sexuel sur mineurs

Selon les études, entre 5 à 10 % des français seraient victimes d’inceste avec une majorité de filles (60 à 70%). C’est plus de 3 millions d’enfants abusés et quelques millions d’abuseurs. A titre d’exemple, on peut considérer que dans une classe de 30 élèves de CM2, 3 enfants sont susceptibles d’avoir été victimes d’inceste ou d’abus sexuel par un proche.

 

  • La fillette a 10 ans ou moins et son agresseur lui est connu et est de sexe masculin.
  • 50 % des abus avec contact génital surviennent entre 9 et 12 ans.
  • 80 % des enfants abusés connaissent l’abuseur (lien familial ou de proximité).
  • Les jeunes garçons sont également abusés par des hommes ou par des femmes (dont mères incestueuses abusant des enfants en bas âge).
  • La durée moyenne des rapports incestueux est de 5 ans.
  • 30 % des anciens incestés deviennent incesteurs.
  • 1/3 des abus sexuels intra-familiaux sont entre frères et sœurs ou cousins et cousines et commencent à l’adolescence.

 

Particularité de l’inceste entre frères et sœurs

Il n’y a pas d’abus entre jumeaux ou cousins du même âge. Par conséquent, l’idée reçue consistant à dire que l’abus sexuel entre frère et sœur, ayant un écart d’âge inférieur ou égal à 5 ans, n’est pas grave est sans fondement. Le plus grand a toujours l’ascendant sur le petit. Le concept de « jeu sexuel » est un mythe.

Les dommages psychologiques chez le plus jeune enfant sont tout aussi conséquents qu’avec d’autres abuseurs de la famille.

On observe même une plus grande difficulté à construire un couple ou une famille du côté du petit abusé.

Bien évidemment, il n’est pas rare qu’un enfant abusé lui-même reproduise l’abus (voire la domination et l’humiliation) sur un plus petit.

Il arrive que plusieurs enfants d’une même fratrie soient incestés et qu’ils ne le sachent pas.

 

 

Le rapport de domination sur l’enfant impose la loi du silence

L’enfant est éduqué dans nos sociétés pour obéir aux adultes, aux plus grands et aux parents voire pour les craindre. Ce sont les grands qui dictent les règles, n’est-ce pas !

Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour l’incesteur de faire preuve de violence pour obtenir ce qu’il veut d’un plus petit. C’est d’ailleurs assez rare. Il lui suffit de faire preuve d’autorité, d’influencer l’enfant, de le manipuler par la séduction, le mensonge (c’est un jeu), l’affection, le chantage ou la menace. Et cela, que ce soit pour obtenir qu’il subisse les actes sexuels ou qu’il se taise après.

Ainsi, l’incesteur, s’il est dénoncé, peut arguer qu’il a obtenu le consentement de l’enfant !

Non seulement il ment mais il impose à l’enfant de vivre dans le mensonge et de mentir à son tour (au moment des faits et dans la durée). Bien souvent, l’incesteur agit progressivement dans ses abus. Ainsi l’enfant finit par être enfermé par son propre silence du début.

Comme il n’y a, en général, pas de violence, l’incesteur ne se voit pas comme un violeur. Il s’illusionne en prétendant que c’est l’enfant qui recherche la sexualité ou est dans le déni ou la minimisation de ses actes (« ce n’est qu’un jeu » ou « je lui rends service en l’initiant » ou « il n’y a pas eu de coït, donc ce n’est pas un viol »). De même, certains incesteurs condamnés mettent en avant la protection de la virginité de leur fille pour se dédouaner des autres abus qu’ils lui ont fait subir. D’autres encore arrêtent les relations sexuelles avec leur fille au moment de sa puberté (de peur qu’elle ne soit enceinte bien souvent).

L’opinion qui consiste à dire que l’incesteur ne sait pas résister à la pulsion sexuelle est fausse. Il sait tout à fait se contrôler et attendre que les conditions soient propices pour passer à l’acte (par exemple, attendre la nuit ou que l’autre parent soit absent).

 

L’incesteur sait créer la confusion

L’enfant n’a pas de mots pour décrire ce qu’il vit. Comme l’incesteur utilise des mots qui banalisent, il ne sait pas donner du sens à ce qu’il subit. L’abuseur « vend » ces actes sous forme de « jeu », de « chatouilles », de « câlins », etc. Il détourne le vocabulaire pour minimiser ses actes et confusionner l’enfant. Comment refuser un « câlin » de papa ? Il m’aime, n’est-ce pas ?

L’enfant peut percevoir qu’il y a quelque chose de bizarre mais il n’a pas de grille de lecture de ce qu’il se passe. Il fait confiance à l’adulte et éprouve souvent de l’affection pour lui et l’adulte peut être affectueux par ailleurs. Comment pourrait-il en parler ?

Comme l’abuseur n’évoque pas ce qui se passe à huis-clos, l’enfant comprend que c’est tabou à moins qu’on ne lui demande de se taire explicitement ou qu’on le menace, parfois de mort, s’il parle.

Ou encore, il fait comprendre à l’enfant que s’il parle cela va faire de la peine à maman ou détruire la famille.

Il propose parfois des cadeaux à l’enfant, ce qui est une façon de lui demander de se taire. Les cadeaux donnent le sentiment à l’enfant d’avoir été « acheté » (et donc d’avoir accepté) et plus tard lui donneront le sentiment de s’être « prostitué », d’où une relation aux cadeaux et à l’argent très confuse.

L’incesteur se ment aussi à lui même. Il admet rarement la gravité de ses actes et voudrait que lorsqu’il les arrête tout soit oublié.

 

L’incesteur profite de la disponibilité de sa victime

L’abuseur recherche la facilité et l’économie de temps et d’énergie. Il a l’enfant sous son toit (habituellement), sous la main dirons-nous, soumis, obéissant. C’est facile, ça ne coûte pas cher et ça ne nécessite pas de séduction comme pour un-e partenaire adulte ! Il éprouve rarement d’anxiété, de dévalorisation ou de culpabilité pour ses actes. Comme le montre les constellations familiales, l’incesteur se comporte en prédateur et l’enfant est donc vu comme un « objet ».

Il est rare que l’incesteur se perçoive comme un pédophile car il peut continuer à avoir des relations sexuelles avec des adultes. Pourtant, incesteurs et pédophiles peuvent présenter des intérêts sexuels déviants et des risques de récidives semblables.

Il ne se considère pas davantage comme un violeur ! Pourtant, il connaît la loi et l’interdit de l’inceste. Il prétend que l’incesté peut s’opposer aux relations sexuelles avec lui et donc qu’il a obtenu son consentement. Il nie que l’enfant soit sous son emprise.

 

L’enfant victime d’inceste se résigne à l’abus

Comme l’enfant ne réalise pas ce qu’il vit, il s’y oppose rarement, ne crie pas, ne se plaint pas, voire veut faire plaisir à l’abuseur pour obtenir de l’affection. Il obéit à l’injonction de la relation et finit par s’habituer à la relation (sans opposition) dans le temps. Dans un contexte de carence affective, obtenir des relations sexuelles peut être perçu comme « mieux que rien ».

Il se résigne à se taire et apprend à mentir pour justifier les signes physiques (blessures, salissures, sons, cris) ou le mal être dont il souffre.

Il finit par douter de ce qu’il vit et à un moment donné par oublier le trauma.

 

L’incesté exprime l’abus par ses symptômes et ses comportements

Je renvoie à l’article que j’avais fait sur l’impact des abus sexuels sur mineurs issu de l’excellent livre de Frédérique Gruyer « La violence impensable ».

En quelques mots, l’enfant abusé souffre de symptômes physiques et psychologiques :

  • Problèmes de sommeil
  • Enurésie
  • Problèmes autour de la sphère génitale/anale (infection urinaire, saignements, constipation…)
  • Sensations d’étouffement ou asthme si fellation
  • Automutilation
  • Dissociation (ne sent plus son corps, est absent)
  • Pensées suicidaires ou tentatives de suicide (surtout à partir de l’adolescence)
  • Emotions lourdes : honte, culpabilité, dégoût, dévalorisation de soi, colère…
  • Amnésie, oubli, confusion

 

La culpabilité nait chez l’enfant de sa croyance que tout ce qui lui arrive est de sa faute.

Qu’a-t-il bien pu faire pour susciter cette attitude chez l’adulte ? Il se croit coupable parce que l’adulte lui accorde plus d’attention qu’aux autres (ce qu’il croit être de l’affection ou de l’amour). Il peut se sentir coupable s’il a reçu des cadeaux, s’il n’a pas dévoilé ce qu’il vivait et surtout s’il a pris du plaisir affectivement et/ou physiquement.

Or, la stimulation mécanique de l’enfant ou de l’adolescent conduit naturellement à une forme de plaisir. Comment en vouloir à l’autre si l’on a pris du plaisir ? Il se voit coupable et complice et choisit de s’en vouloir à lui-même, ce qui vaut double peine.

Sa souffrance se manifeste également par ses comportements :

  • D’évitement de l’abuseur
  • De colère ou de haine à son égard
  • D’attitudes ou de comportements hyper-sexualisées (masturbation, séduction) qui risquent d’entraîner de nouveaux abus par d’autres prédateurs. En effet, les enfants pensent que c’est ce qu’on attend d’eux pour être aimés.

 

Le système familial est aveugle et nourrit le non-dit 

L’inceste arrive fréquemment dans des familles qui ont déjà connu l’inceste ou le viol dans les générations passées et bien souvent au même âge.

 

En constellation familiale, on observe que l’abus ne peut être perpétré que s’il y a des conditions familiales propices à cela. L’abus préserve le statu quo familial (l’homéostasie) et l’enfant est « sacrifié » et donné inconsciemment en compensation. Par exemple, une mère absente ou dépressive, une mère complice, une mère anciennement abusée et toujours dans le déni, etc… Il n’est pas rare qu’une mère abusée par son père confie sa propre fille au grand-père.

 

Dans la famille, personne n’en parle, donc on n’en parle pas. Cela risquerait de faire exploser le système familial. Ainsi, l’impunité est propice à la redescente de l’inceste dans la famille.

 

Pourtant, il arrive que l’abuseur fasse des remarques sexuelles sur le physique de l’enfant ou de l’adolescente. Ou qu’il le tripote devant la famille ou le fasse asseoir de force sur ses genoux. La famille occulte, minimise et par défaut cautionne. L’enfant comprend qu’il ne peut être défendu, ce qui renforce son silence et sa solitude.

 

Pourtant l’incesté crie son mal-être en s’exprimant par les symptômes ou les comportements évoqués précédemment. Nul n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, malheureusement !

 

L’amnésie de la victime entretient le silence

L’amnésie, tout comme la dissociation, est un mécanisme de défense et de survie contre la brutalité de certains évènements. C’est pour cette raison que la prescription des actes d’abus est inadéquate. Lorsque les viols interviennent la nuit et qu’au réveil l’incesteur n’en laisse rien paraître, l’enfant doute de son vécu ou l’oublie.

Il faut parfois des dizaines d’années pour que les souvenirs émergent, pour que la personne comprenne que cette « initiation ou marque d’affection inadéquate » était en réalité un abus. Ce peut être à l’occasion d’un autre abus, d’un accouchement ou d’une rencontre avec un reportage, un professionnel, un livre, etc… Seul un autre que l’incesté peut mettre les mots de « viol » ou « d’inceste » sur le vécu, lui rendant son statut de victime.

Malheureusement, les victimes préfèrent bien souvent le silence au dévoilement.

 

La révélation de l’inceste apporte peu de paix

Entendons-nous bien. Je ne dis pas qu’il faut garder le « secret ». Je précise que les bénéfices escomptés sont rarement au rendez-vous. Toutefois, garder le silence peut faire perdurer l’abus sexuel sur enfants chez les descendants.

Comme nous l’avons vu, il faut du temps à l’incestée pour réaliser qu’elle a été victime. Les souvenirs ne reviennent pas d’un seul coup mais se révèlent par bribes. La modification des souvenirs qui émergent et sont révélés fait la part belle aux incesteurs qui peuvent prétendre que la victime raconte des histoires et ment.

Quoi qu’il en soit, la révélation de l’inceste créé un tsunami dans le clan familial. Malheureusement, La victime reçoit rarement le soutien attendu de sa famille. Cela remet trop en cause la situation sociale et familiale ainsi que les relations existant au sein de la famille.

Par conséquent, il n’est pas rare que la révélation de l’inceste entraîne le discrédit, la disgrâce ou l’exclusion de la victime et ce même s’il existe un risque que l’abuseur s’en prenne à d’autres enfants dans le clan.

Pourtant, la victime a juste besoin d’être reconnue, entendue et accueillie dans sa souffrance et les répercussions que cela a eu sur sa vie. Et cela, même sans porter plainte. Or, reconnaître l’abus renvoie certains membres de la famille au fait qu’ils n’avaient rien vu et rien fait pour protéger l’enfant.

 

Il est à noter que l’écrasante majorité des agresseurs échappent à la justice du fait de la difficulté à établir la preuve des abus (ils « oublient » l’âge précoce de l’enfant au moment des faits et réduisent la durée des abus, nient ou minimisent), des délais de prescription et parfois du silence qui continue à perdurer.

 

D’autre part, les incesteurs qui ont été interpellés par la justice sont souvent considérés comme des personnes bien insérées dans la Société, agissant en « bons pères de famille » par ailleurs ! Même quand ils finissent par être emprisonnés, la famille et les amis continuent à les voir et à percevoir l’incesté comme un délateur. Il est rare que cela fasse exploser la famille finalement. Elle se reconstituera autour de lui dès sa sortie de prison, laissant l’incestée plus seule que jamais.

 

Retrouver son intégrité par la thérapie

Le travail thérapeutique autour de l’abus sexuel est un travail délicat et souvent de longue durée. C’est d’ailleurs rarement pour cette raison que les personnes viennent consulter. Elles évoquent plutôt un mal-être, des difficultés d’ordre conjugal ou sexuel, une dépression, des symptômes physiques, une hypersensibilité à l’intrusion dans leur espace physique (sursaute par exemple) ou psychique, une difficulté à poser des limites, etc. J’observe souvent que les personnes ayant été incestées n’ont pas de verrou à leurs toilettes ou salle de bain !

L’abus en lui-même aura entraîné tout un tas de conséquences dans les comportements de l’ancien enfant abusé. Et cela peut l’avoir amené à vivre d’autres traumas par la suite.

L’oubli n’aura rien résolu. Il aura juste permis de survivre un temps tout en apportant son lot de dysfonctionnements.

 

Le premier pas consistera à reconnaître son statut de victime puis à réhabiliter son intégrité, sa pureté et son innocence (en se pardonnant notamment). Un travail énergétique et spirituel pourra accompagner le travail psycho-thérapeutique car il y a de nombreuses couches de l’être qui ont été atteintes.

Porter plainte peut certes permettre de faire reconnaître son statut de victime. Il faut beaucoup de courage et de soutien pour y arriver.

Parfois, cela ne sera pas possible. Toutefois, le travail thérapeutique permettra toujours une reconstruction avec ou sans constellation familiale.

Psitt : voire le Conte de la petite Lily qui voulait juste qu’on l’aime

 

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